La pandémie a parfois bon dos

L’entrée en récession des États-Unis est maintenant officielle et les faibles oscillations de tel ou tel paramètre ne préludent pas à sa sortie prochaine. Les chiffres du chômage peuvent s’améliorer à la marge d’un mois sur l’autre mais ils restent hors normes, et la consommation, composante majeure du PIB, connait une baisse massive. Seule consolation, ces résultats sont moins mauvais que ceux que les analystes attendaient ! L’économie est sinistrée et Paul Krugman craint dans sa chronique du New York Times la venue d’une « grande récession ». Ses causes peuvent-elles seulement être trouvées dans l’ampleur de la pandémie qui afflige la société américaine ?

Il est toujours tentant de rapprocher deux évènements simultanés afin d’expliquer l’un par l’autre, et cela ne manque pas. C’est avoir la mémoire courte et oublier le thème majeur qui a mené à la victoire Donald Trump, « Make America Great Again ! », signifiant qu’une pente était à remonter. Sa promesse non accomplie va-t-elle sonner l’heure de sa défaite ?

Une crise peut en cacher une autre. Et si le montant de l’allocation chômage fédérale, dont le programme expiré attend sa poursuite, est la principale pomme de discorde entre les démocrates et les républicains – ainsi qu’au sein de ces derniers – c’est l’arbre qui cache la forêt. Donald Trump va tenter de sauver sa réélection, qui est mal partie, en procédant par décret, faisant fi des prérogatives du Congrès en matières budgétaires. Mais il rencontre de grandes difficultés à repasser à l’offensive. Soit en jouant la carte de « la loi et l’ordre » dans les États gouvernés par des démocrates, attisant le feu qu’il prétend éteindre, soit en multipliant les mesures anti-chinoises aux relents xénophobes. Son rejet l’emportera-t-il sur ses tentatives de rester en selle ? Il essaye de mettre toutes les chances de son côté, jouant la politique du pire en manipulant l’opinion refusant d’admettre que l’Amérique a changé, tout en préparant le terrain à la contestation en cas d’un résultat défavorable. N’abandonnez jamais, n’avouez jamais !

Ces changements s’illustrent spectaculairement au travers le mouvement « Black lives matter! » (les vies noires nous importent) qui traverse le pays et mobilise les foules bien au-delà de cette communauté: tourner la page en affrontant l’Histoire serait libératoire.

L’essoufflement du modèle économique américain ne doit pas d’avantage être négligé, les tentatives de réindustrialisation à l’identique du pays ignorant la nécessité de sa mutation. La reconversion de l’industrie automobile n’a pas été au fond des choses, pour prendre cet exemple. Le refus de Donald Trump d’entamer une politique de décarbonisation de l’économie rend compte des profonds conformismes et aveuglements qui dominent des milieux d’affaires soumis à des exigences financières immédiates.

Face à la détérioration de l’économie et à l’approfondissement de ses conséquences sociales, un nouveau plan de relance est indispensable d’urgence, ne serait-ce qu’en raison de l’effet boule de neige de la baisse des revenus, s’exerçant notamment sur le remboursement des prêts hypothécaires et les expulsions qui en découlent, ainsi que celui des prêts étudiants. L’édifice de la dette est fragile. En guise d’une mutation qui ne s’accomplit pas, le rempart de la Fed ne le consolidera pas éternellement.

Pankaj Mishra, un brillant essayiste indien, sonne dans la London review of books le glas de la domination des idéologues anglo-américains et de la domination sans entrave des marchés associée à la diminution du rôle des États : « les gagnants initiaux de l’histoire moderne semblent maintenant être ses plus grands perdants, avec leurs systèmes politiques délégitimés, leurs économies grotesquement déformées et leurs contrats sociaux brisés. » Examinant le choc de la pandémie, il oppose les États-Unis et le Royaume-Uni à l’Allemagne, le Japon, la Corée du sud, Taïwan et à la Chine pour en tirer la conclusion que « la vision idéalisée de la démocratie et du libre marché, prisée depuis la guerre froide, ne survivra pas longtemps », car « le libre marché anglo-américain aboutit à une iniquité intolérable. ». Que reste-t-il de la démocratie dans tout cela et en quoi consiste-t-elle ? s’interroge l’auteur après avoir effectué un large tour d’horizon sans complaisance et s’être référé à la vision prémonitoire de James Baldwin.

Depuis 2008, la même lancinante question reste sans réponse : le capitalisme trouvera-t-il en lui la capacité de se réformer pour se sauver en se protégeant des effets de ses propres miasmes ? Il est constaté que ses velléités dans ce domaine restent faibles et ne dépassent pas souvent le stade des intentions. Or, on ne joue plus : combien de temps une telle incertitude peut-elle durer devant les échéances climatiques qui se confirment ? Ni le système financier, ni les grands contributeurs à l’émission des gaz à effet de serre – que ce soient l’industrie pétrolière ou la Chine et sa consommation de charbon – ne sont en mesure d’assurer la « transition écologique » dans les délais requis. Plus encore que la pensée dogmatique gravée dans les esprits de beaucoup des « décideurs », l’ampleur de la mutation à accomplir apparait totalement disproportionnée au regard des exigences du calendrier.

De ce point de vue aussi, comme toujours, les États-Unis sont à l’avant-garde, de toute leur puissance restante.

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